L’inspecteur du travail doit s’assurer que la procédure légale de licenciement a été respectée

ARTICLE PUBLIE DANS LA REVUE JURISPRUDENCE SOCIALE LAMY

L’inspecteur du travail doit s’assurer que la procédure de licenciement a été respectée

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CE, 22 juill. 2015, n° 369223

Cet arrêt, pourtant éclipsé par les arrêts rendus le même jour par le Conseil d’état sur les personnes pouvant agir contre les décisions de la DIRECCTE de validation de l’accord collectif majoritaire ou d’homologation du document unilatéral de l’employeur, ne manque pas d’intérêt et est destiné à être publié aux tables du Receuil Lebon.

L’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé, doit s’assurer que l’employeur a respecté la procédure de licenciement, au regard tant des règles du droit commun du licenciement, que des règles propres au licenciement des salariés protégés. Depuis un arrêt du 21 mai 2008, il appartient également à l’autorité administrative de contrôler le respect par l’employeur des garanties procédurales éventuellement prévues par la convention collective (CE, 21 mai 2008, n° 304394). Par cet arrêt du 22 juillet 2015, le Conseil d’état précise la portée de cette solution.

 

Les faits

Un chirurgien-dentiste titulaire d’un mandat de délégué du personnel fait l’objet d’une demande d’autorisation de licenciement pour faute grave émanant du Directeur du Grand Conseil de la Mutualité.

Son contrat de travail stipulait que « le présent contrat sera résilié de plein droit sans préavis, ni indemnité, dans le cas de faute grave appréciée dans les conditions prévues aux articles 18, 19 et 20 ci-dessous, ainsi qu’en cas de faute contre l’honneur et de délai de droit commun ». Il précisait à cet égard en son article 20 que « tout litige portant sur des questions purement professionnelles est de la compétence exclusive de la juridiction disciplinaire et sera soumis au Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes. »

En l’espèce, l’inspection du travail des Bouches-du-Rhône avait recueilli l’avis du Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes des Bouches-du-Rhône sur la compatibilité de l’état pathologique du salarié avec l’exercice de sa profession, mais s’était abstenue de s’assurer que la formation disciplinaire du conseil de l’ordre avait été préalablement appelée à se prononcer sur les griefs justifiant la procédure de licenciement pour faute engagée à l’encontre de l’intéressé, comme l’imposait l’article 20 de son contrat de travail. En réalité, ce n’est que postérieurement à cet échange que le Grand Conseil de la Mutualité avait sollicité la saisine de cette instance sur les motifs de licenciement avancés.

Pourtant, l’inspection a accordé l’autorisation de licencier le salarié protégé le 12 mars 2010, puis rejeté le recours gracieux formé par ce dernier à l’encontre de cette décision, le 28 mai 2010. Par un jugement du 29 novembre 2011, le Tribunal administratif de Marseille a annulé ces deux décisions de l’inspecteur du travail.

 

La décision, son analyse et sa portée

L’extension de la vérification préalable aux procédures disciplinaires prévues par le contrat de travail

Par un arrêt du 9 avril 2013, la Cour administrative d’appel de Marseille avait rejeté l’appel interjeté par le Directeur du Grand Conseil de la Mutualité et précisé qu’« il incombe à l’autorité administrative, saisie d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé pour motif disciplinaire, d’apprécier, sous le contrôle du juge administratif, si les règles de procédure d’origine conventionnelle préalables à sa saisine, ont été respectées, y compris lorsque ces règles sont issues des stipulations propres au contrat de travail de l’intéressé ». La Cour administrative a donc considéré qu’en vérifiant pas avant d’autoriser le licenciement si la procédure préalable prévue à l’article 20 du contrat de travail avait été respectée par le Grand Conseil de la Mutualité, l’inspectrice du travail a entaché sa décision d’illégalité. Elle précise à cet égard que « si la règle de procédure prévue par le contrat de travail de [l’intéressé] constitue une garantie de fond de nature à priver de base légale son licenciement » (CAA Marseille 9 avr. 2013, n°12MA00395).

Cette solution est approuvée par le Conseil d’état dans son arrêt du 22 juillet 2015, dans lequel il retient que « dès lors qu’elles prévoyaient que tout litige portant sur des questions purement professionnelles relevait de la juridiction disciplinaire de l’ordre des chirurgiens-dentistes, ces stipulations, qui ne méconnaissent pas les dispositions de l’article L. 2411-5 du code du travail, imposaient, lorsque l’employeur invoque des manquements du salarié à des obligations déontologiques, que la juridiction disciplinaire non seulement ait été saisie mais ait statué sur ces manquements avant qu’une procédure de licenciement pour un tel motif disciplinaire ne puisse être engagée ». Ainsi, l’inspection du travail des Bouches du Rhône aurait dû s’assurer avant de rendre sa décision, non seulement que le Conseil Départemental de l’Ordre des Chirurgiens-Dentistes des Bouches-du-Rhône ait été saisi sur les griefs sur la base desquels la procédure de licenciement pour faute avait été engagée, mais également que cette instance ait rendu sa décision sur ces derniers. Elle ne pouvait donc légalement autoriser le licenciement du salarié protégé en l’absence de décision de cette instance disciplinaire, quand bien même cette dernière ait été saisie.

L’évolution de la jurisprudence relative au respect de la procédure conventionnelle de licenciement

Par son arrêt du 22 juillet 2015, le Conseil d’état poursuit son processus du rapprochement sa jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.

On sait en effet que la Haute Juridiction considère de longue date que la procédure de licenciement précue par une convention ou un accord collectif de travail constitue une garantie de fond, de sorte que le licenciement prononcé sans qu’elle ait été respectée « ne peut avoir de cause réelle et sérieuse » (Cass. Soc., 23 mars 2009, n°97-40.412). Revenant sur sa position antérieure selon laquelle le non-respect de la procédure conventionnelle de licenciement est sans incidence sur la légalité de la décision de l’inspecteur du travail (CE, 11 mai 1990, n°90979), le Conseil d’état avait déjà considéré dans un arrêt de revirement du 21 mai 2008 que l’inspecteur du travail saisi d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé doit vérifier « si les règles de procédure d’origine conventionnelle préalable à sa saisine étaient observées », faute de quoi le licenciement doit être refusé (CE, 21 mai 2008, n°304394). Cette vérification est d’ailleurs préconisée par le Ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social dans sa circulaire du 30 juillet 2012 relative aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés (Circ. Min. n°07/2012, 30 juill. 2012, fiche n°5, 5)).

S’agissant des garanties procédurales prévues par un contrat de travail, la Chambre sociale avait eu l’occasion de considérer, à l’instar de certaines cours d’appel, que leur non-respect prive le licenciement de cause réelle et sérieuse (Cass. Soc., 30 avril. 2014, n°13-13.412 Inédit ; CA Rennes, 15 sept. 2005, n°04/08168). C’est donc très logiquement que le Conseil d’état considère pour sa part qu’une violation de la procédure disciplinaire prévue par un contrat de travail entache d’illégalité la décision de l’inspecteur du travail d’autoriser le licenciement d’un salarié protégé.

 

Auteur : Lydia Hamoudi

 

Jurisprudence sociale Lamy

Publié le 12/10/2015

Numéro 395, page(s) 14-16