ARTICLE PUBLIE DANS LE BULLETIN JOLY TRAVAIL
Mettre en place le télétravail pour protéger l’environnement
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Les études démontrent que le télétravail permet de réduire les impacts environnementaux de l’activité de l’entreprise (émissions de gaz à effet de serre, consommation d’énergie, émissions de particules fines, oxydation photochimique et épuisement de ressources non renouvelables)[1]. Or, à l’heure du développement durable et de la RSE, l’employeur a un intérêt évident à intégrer la donnée environnementale dans l’organisation du travail. Le présent article a pour objectif d’identifier des points pratiques permettant de faire du télétravail un véritable outil de la politique environnementale de l’entreprise.
« Il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l’environnement » (art. L. 110-2 al. 2 C. de l’environnement).
Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), la première mesure à prendre pour limiter le réchauffement climatique serait de réduire les émissions de gaz carbonés de manière drastique, pour atteindre une émission zéro carbone en 2050. En effet, le transport représente 15% des émissions des gaz à effet de serre. De plus, l’usage de véhicules entraine l’émission de particules en suspension (également appelées particules fines), qui sont dues à l’abrasion des pneus sur la route et aux plaquettes de frein, et sont néfastes pour la santé et l’environnement (TA Montreuil, 25 juin 2019, n°1802202). Il est donc aujourd’hui évident que, pour préserver la planète, l’homme doit réduire un maximum l’usage des voitures, même électriques[2]. A cet égard, il ressort d’une étude de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) que le télétravail permettrait de diminuer d’environ 30 % les impacts environnementaux associés aux trajets entre le domicile et le lieu de travail pour un nombre moyen de jours télétravaillés de 2,9 par semaine[3]. Selon cette même étude, ce gain atteindrait jusqu’à 58 % pour les émissions de particules en suspension et s’accompagne d’économies d’énergie.
Le télétravail apparaît donc comme l’un des moyens de réduire l’impact environnemental de nos activités économiques. Or, à l’heure du développement durable et de la responsabilité sociale des entreprises[4], l’employeur doit désormais intégrer la donnée environnementale dans l’organisation du travail. L’engagement de l’entreprise sur ce sujet est central, tant l’enjeu est de taille et la pression forte, à la fois de l’opinion publique et des interlocuteurs externes de l’entreprise (clients, partenaires etc.), mais également des salariés eux-mêmes. Alors, comment faire du télétravail un outil de politique environnementale de l’entreprise ?
1. Mise en place du télétravail
Après avoir défini les éléments essentiels du télétravail (A), l’employeur doit s’assurer de l’adhésion de la collectivité des salariés à ce projet écologique, ce qui l’amènera à privilégier une mise en place par voie collective (B).
A. Définir les éléments essentiels du télétravail
Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication (art. L. 1222-9 C. trav.). Il peut être mis en place, soit collectivement, c’est-à-dire par accord collectif (de branche, d’entreprise, d’établissement ou de groupe) ou dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, soit individuellement, par un accord entre le salarié et l’employeur, formalisé par tout moyen (C. trav., art. L. 1222-9, I).
L’accord ou la charte doivent comporter un certain nombre de mentions obligatoires, à savoir :
- Les conditions de passage en télétravail ;
- Les conditions de retour à une exécution du contrat sans télétravail ;
- Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail ;
- Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail ;
- La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail et
- Les modalités d’accès des travailleurs handicapés à une organisation en télétravail (art. L. 1222-9 C. trav.).
Bien que la loi ne l’impose pas, un accord individuel relatif au télétravail devrait reprendre la plupart de ces dispositions, afin de sécuriser le recours au télétravail.
B. Privilégier la voie collective
La négociation collective est généralement perçue comme favorable aux rapports entre le travail et l’environnement[5]. De ce point de vue, la méthodologie qui consiste pour l’employeur à convenir d’engagements en matière environnementale dans le cadre de la négociation collective est très actuelle[6]. Plus généralement, l’usage d’un mode de mise en place collectif du télétravail permet à l’employeur d’associer les organisations syndicales ou, le cas échéant, les représentants du personnel, à son initiative écologique. De façon indirecte, la négociation et la conclusion d’un accord d’entreprise sur le sujet permet donc de sensibiliser les salariés à la politique environnementale de l’entreprise. Sur ce point, rappelons d’ailleurs que la mise en place du télétravail unilatéralement au moyen d’une charte n’étant prévue qu’« à défaut » d’accord, l’employeur doit en premier lieu tenter de mener des négociations sur ce sujet dès lors qu’il existe des délégués syndicaux dans l’entreprise (art. L. 1214-8-2 C. trav.). Notons également que certains syndicats se sont saisis du sujet de longue date, ce qui montre le caractère collectif et éminemment sociétal de la question environnementale[7].
Le cas échéant, les clauses générales relatives à l’accord collectif devront également être stipulées (préambule, modalités de révision et de suivi, préavis etc.). A ce sujet, il est recommandé à l’employeur d’être particulièrement attentif quant à la rédaction du préambule, qui lui permet de marquer son attachement à la cause écologique et constitue un outil de pédagogie à l’égard des salariés. L’insertion d’un tel préambule serait d’ailleurs également intéressante dans le cadre d’une charte sur le télétravail. Ce d’autant plus que, le télétravail ayant un caractère volontaire, un tel projet nécessite l’adhésion des salariés (art. L. 1222-9 C. trav.). La rédaction, à adapter en fonction des spécificités de l’entreprise, pourrait être la suivante : « Les parties constatent et partagent la préoccupation grandissante de l’ensemble des acteurs économiques à l’égard des problématiques environnementales induites par les activités économiques et, en particulier, par l’utilisation intensive des moyens de transports. Elles conviennent que le télétravail permet de réduire les impacts environnementaux liés aux trajets entre le domicile et le lieu de travail des salariés, notamment en termes d’émission de gaz à effet de serre et de pollution atmosphérique. La mise en place du télétravail constitue donc un outil de la politique environnementale de l’entreprise et s’inscrit dans ses engagements en matière de responsabilité sociale et environnementale ».
Une fois les éléments essentiels et le cadre de mise en place du télétravail définis, l’employeur doit s’interroger sur sa mise en œuvre concrète, qui doit être menée avec quelques précautions.
2. Mise en œuvre du télétravail
L’instauration du télétravail suppose la clarification d’un certain nombre de règles auprès des salariés (A). Sous peine de réduire considérablement l’impact écologique de ce dispositif, l’employeur devra également accompagner sa mise en place (B).
A. Instaurer le télétravail
Lorsque le télétravail est mis en place par accord collectif ou par une charte, la loi n’exige pas la conclusion d’un avenant aux contrats de travail individuel des salariés. Toutefois, l’acceptation devra être établie, selon les modalités prévues par l’accord ou la charte. Quel que soit le mode choisi, l’employeur devra néanmoins veiller à conserver une preuve écrite de l’accord du salarié. Par ailleurs, le télétravail n’est pas adapté à tous les postes ni à tous les profils et il appartient à l’employeur qui entend refuser une demande de télétravail d’un de ses salariés d’en justifier (défaut d’une condition d’éligibilité, impossibilité technique, coûts etc.). En l’absence d’accord collectif ou de charte, l’employeur peut, en principe, accepter ou refuser toute demande de passage en télétravail sans avoir à motiver son refus, sauf lorsqu’elle est formulée par un salarié handicapé ou un proche aidant (art. L. 1222-9 C. trav.)[8].
Le télétravailleur doit rester joignable pendant les plages horaires mentionnées dans l’accord, la charte sur le télétravail ou, le cas échéant, son contrat de travail. Ces documents fixent également les modalités de contrôle de sa charge de travail (art. L. 1222-9 C. trav.). En effet, le télétravailleur doit bénéficier des règles relatives aux durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail, aux temps de repos obligatoires et à l’amplitude maximale de travail. A cet effet, un entretien annuel doit d’ailleurs porter sur les conditions d’activité et la charge de travail du télétravailleur. L’utilisation d’un moyen de contrôle de la présence du télétravailleur à son poste est admise, dès lors qu’il est pertinent et proportionné à l’objectif poursuivi. Il doit également faire l’objet d’une consultation du CSE et d’une information des personnes concernées.
B. Accompagner la mise en place du télétravail
L’employeur est soumis à un certain nombre d’obligations dans le cadre du télétravail. Il doit s’assurer, en amont, de la conformité du domicile du salarié à l’exercice du télétravail, fournir les équipements nécessaires et prendre en charge les coûts afférents. Bien que la loi ne le précise pas, il doit également s’assurer que l’assurance habitation du télétravailleur couvre tous les risques liés au déroulement d’une activité professionnelle au sein d’un domicile privé. Sur ce point, les accords prévoient généralement une obligation pour le salarié d’informer son assureur de l’utilisation professionnelle d’une partie de son logement et de fournir une attestation. Enfin, si aucun local professionnel n’est mis à la disposition du salarié, il devra verser à ce dernier une indemnité d’occupation en compensation des sujétions liées à l’utilisation de son domicile personnel à des fins professionnelles[9].
Ce socle d’obligation minimales peut s’accompagner de mesures en faveur de l’environnement. A ce sujet, il a été souligné que la mise en place du télétravail pourrait ne pas avoir l’efficacité attendue en terme environnemental du fait des effets rebond et des effets indirects néfastes pour l’environnement[10]. De fait, ces effets, qui ne sont pas pris en compte dans nombre d’études, peuvent être considérables. Ainsi, la modification des habitudes de transports, voire même celle de l’environnement de bureau (chauffage, éclairage, etc.), sont susceptibles de réduire les effets bénéfiques du télétravail sur l’environnement.[11] Une démarche de l’employeur visant à promouvoir le télétravail dans une perspective écologique serait donc incomplète sans outils de responsabilisation des salariés en vue de promouvoir l’écoresponsabilité au travail[12]. Ainsi, une sensibilisation aux bonnes pratiques peut être envisagée pour accompagner la mise en œuvre du télétravail : rationalisation de la consommation d’énergie (chauffage et électricité), recyclage des cartouches d’encre, limitation des impressions papier etc.
* * *
Au-delà du télétravail, l’employeur qui souhaite mettre en œuvre une politique écologique volontariste peut instituer d’autres mesures en faveur de l’environnement, telles que la promotion de l’utilisation du vélo (par exemple par la mise en place d’un local dédié, la prise en charge d’une partie des coûts d’achat etc.). Peuvent également être envisagées des mesures incitant les salariés à user de moyens de transports collectifs, ou la mise en place de dispositifs facilitant le covoiturage[13]. En la matière, « chaque degré compte, chaque année compte et chaque décision compte : ne pas agir aujourd’hui c’est ajouter au fardeau des générations futures » (Valérie Masson-Delmotte, Co-présidente du groupe de travail I du GIEC, intervention au Sénat du 8 Octobre 2018).
Auteur : L
, avocate associée[1] « Potentiel de contribution du numérique à la réduction des impacts environnementaux : état des lieux et enjeux pour la prospective », étude réalisée pour le compte de l’ADEME par Deloitte Développement Durable, EcoInfo, Futuribles et le CRÉDOC, décembre 2016.
[2] Ces dernières posent d’autres problèmes environnementaux, des méthodes d’extractions des métaux nécessaires à la fabrication des batteries au recyclage de ces dernières.
[3] « Impact du télétravail, des tiers lieux et du coworking sur la réduction des consommations d’énergie et émissions de GES, et sur l’organisation des entreprises », BIO by Deloitte, Greenworking, BVA, pour l’ADEME, 2015.
[4]François GUY TRÉBULLE, Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale, Répertoire de droit des sociétés, Mars 2003 (actualisation : Juillet 2018)
[5] M. Despax, Conclusion générale, Droit du travail et droit de l’environnement, 1994, p. 52.
[6] Le projet de loi d’orientation des mobilités érige d’ailleurs en thème de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la qualité de vie au travail les « mesures visant à améliorer la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail, notamment en réduisant le coût de la mobilité, en incitant à l’usage des modes de transport vertueux ainsi que par la prise en charge des frais » liés notamment à l’utilisation de véhicules moins polluants, du vélo et au covoiturage, dans les entreprises de plus de 50 salariés sur un même site (article 26).
[7] Pour un exemple, voir le livre vert publié par Syntec informatique intitulé « Le télétravail au service du développement durable », janvier 2010.
[8] Naturellement, ce refus ne doit pas heurter le principe d’égalité de traitement ou se fonder sur des motifs discriminatoires.
[9] Cass. soc., 14 avr. 2016, n° 14-13.305
[10] J.-E. Ray, Légaliser le télétravail : une bonne idée ? : Dr. soc. 2012, p. 443
[11] « Potentiel de contribution du numérique à la réduction des impacts environnementaux : état des lieux et enjeux pour la prospective », étude réalisée pour le compte de l’ADEME par Deloitte Développement Durable, EcoInfo, Futuribles et le CRÉDOC, décembre 2016.
[12] Notons que le télétravail peut également être prévu par le plan de mobilité des entreprises en tant que mesure visant à optimiser les déplacements liés à l’activité de l’entreprise, dans une perspective de diminution des émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques (art. L. 1214-8-2 C. trav.).
[13] Ce d’autant plus que l’article 26 du projet de loi d’orientation des mobilités prévoit l’instauration d’un titre-mobilité de 400 euros pour encourager les déplacements « propres » des salariés (vélo, covoiturage…).