Mécénat de compétences : les préconisations de Lydia Hamoudi dans le magazine Dossier Familial

C’est quoi le mécénat de compétences ?

 

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« Je souhaitais depuis longtemps m’engager, soutenir une cause par mon action sur le terrain. Se lancer comme bénévole demande du temps et beaucoup d’énergie. J’y pensais souvent sans avoir franchi le pas. » Lorsque son entreprise a proposé des missions dans le cadre du mécénat de compétences, Florence n’a plus hésité. « C’est bien plus facile, explique cette salariée de 41 ans, responsable de la communication d’Identicar, une PME familiale spécialisée dans l’assurance complémentaire automobile. Et dans ce cas, on est d’autant plus fier de travailler pour une entreprise qui permet de mettre ses convictions en pratique. »

De quoi s’agit-il ?

« À la différence du bénévolat, le mécénat de compétences s’exerce sur le temps de travail, résume Elsa Chaucesse, de Pro Bono Lab, principale association française à se consacrer à « l’engagement par le partage de compétences ». Les entreprises y voient un enjeu d’image, de motivation de leurs salariés, et elles peuvent bénéficier d’un dispositif de défiscalisation qui limite leur engagement financier. » À une condition : que l’organisme bénéficiaire de l’initiative ait une mission d’intérêt général, comme la Croix-Rouge, le Secours populaire, le Secours catholique ou les Restos du cœur, mais aussi des associations moins connues ou les missions locales pour l’insertion, par exemple.

La loi Aillagon du 1er août 2003 leur permet dans ce cas de défiscaliser 60 % des salaires de leurs collaborateurs missionnés (Code général des impôts, article 238 bis). « Nous sommes de plus en plus en plus sollicités par des entreprises de taille modeste, poursuit Elsa Chaucesse, même si, historiquement, ce sont les grands groupes qui ont d’abord utilisé le dispositif. » Ainsi, Deloitte (audit et conseil) et Orange, à travers leurs fondations. Ou Schneider Electric qui gère les missions au sein de son service Schneider Initiatives Entrepreneurs rattaché à la direction du développement durable du groupe.

Comment ça marche ?

Les missions peuvent être réalisées en prestation de service, c’est-à-dire au profit d’une organisation mais en restant au sein de l’entreprise d’origine. « C’est souvent le cas chez nous lorsque des salariés accompagnent une association en gestion de projet à raison de deux heures par semaine », explique par exemple Guilène Bertin-Perri, présidente de la Fondation Deloitte.

L’autre mode de transfert des compétences repose sur le prêt de main-d’œuvre. Dans ce cas, le salarié est mis à la disposition de l’association qui supervise son activité et qui est responsable des conditions de travail. « Dans le cadre du dispositif de temps partiel senior, Orange propose à ses salariés d’intégrer en mécénat de compétences une association solidaire à mi-temps pendant deux ans avec le versement de 80 % du salaire », explique ainsi Françoise Cosson, déléguée générale de la Fondation Orange. Environ 3 000 conventions de mise à disposition ont été signées par le groupe depuis une dizaine d’années.

« Sortir de sa zone de confort »

Le témoignage de Florence, 41 ans, salariée de la PME Identicar

Responsable de la communication éditoriale d’Identicar, je travaille également avec un groupe qui accompagne l’association d’aide à domicile en milieu rural (ADRM 91) pour un projet de portage des repas. J’ai été formée aux montages de dossiers solidaires et j’ai découvert les enjeux de ce secteur. C’est une forme de décloisonnement très intéressante car, dans une entreprise, on ne travaille pas avec tous les métiers. Une telle mission pousse à sortir de sa zone de confort et à monter en compétences. Notre équipe a réalisé des études auprès des associations, des mairies, identifié les fournisseurs et les meilleures pratiques. L’objectif d’ouverture du centre de portage devrait être tenu.

Pendant combien de temps ?

Les textes n’imposent pas de durée maximale. « Nous déconseillons des missions de plus de trois ans, indique Elsa Chaucesse. Elles n’ont pas vocation à se substituer à des postes en CDD ou CDI lorsqu’ils peuvent être créés au sein des organismes bénéficiaires. »

Généralement, deux pratiques coexistent.

  • Un mécénat sur une période courte ou fractionnée, par exemple quelques heures par semaine ou quelques jours par mois. Chez Deloitte, des salariés peuvent suivre des jeunes dans leurs études à raison de quelques dizaines d’heures par an, mais pendant plusieurs années d’affilée. Chez Identicar, un crédit temps de 1,5 jour par mois sur le temps de travail est accordé à tous les salariés qui le souhaitent pour des actions de mécénat de compétences.
  • Un mécénat sur une plus longue période, souvent pour les seniors en accompagnement de fin de carrière, comme chez Orange.

Des avantages pour les salariés ?

« Il est motivant de sortir de sa zone de confort, explique Jean, bientôt retraité d’Orange, qui travaille en ce moment à mi-temps dans une mission locale où il accompagne des jeunes de 16 à 25 ans. Dans le cadre de ce mécénat de compétences, assez formalisé, on est aussi véritablement intégré à une équipe. » Retrouver du sens au travail, réaliser des missions avec un effet immédiat et visible sont les intérêts le plus souvent cités par les salariés en mission. Beaucoup mettent l’accent sur l’acquisition de nouvelles compétences. « 85 % des répondants disent utiliser des compétences comportementales, ou “soft skills”, notamment l’écoute (80 %), la capacité à travailler en équipe (65 %), la capacité à trouver des solutions (61 %), l’implication et l’engagement (57 %) et l’adaptabilité (50 %) », a relevé Pro Bono Lab dans sa dernière étude Panorama.

Des enseignements non négligeables dans le cadre professionnel, 50 % des salariés disant développer de nouvelles compétences professionnelles après un engagement solidaire. Certaines entreprises en font même désormais une des briques du parcours de formation de leurs salariés. Si on vous le propose, ne croyez pas qu’il s’agisse d’une voie de garage, c’est souvent le contraire.

Le transfert de compétences aux PME, un cas particulier 

Le détachement de cadres auprès de PME n’est pas considéré comme du mécénat et n’est possible que pour les organismes d’intérêt collectif. Et il ne permet pas de défiscalisation. Le Code du travail prohibe toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre (infraction de prêt illicite de main-d’œuvre) ou ayant pour effet de causer un préjudice ou d’éluder l’application de dispositions légales ou conventionnelles (infraction de marchandage). « L’ordonnance Macron du 22 septembre 2017 a introduit un cas nouveau de prêt de main-d’œuvre licite, afin de favoriser l’entraide entre les grandes et les jeunes, les petites ou les moyennes entreprises, précise néanmoins l’avocate Lydia Hamoudi. Dans ce cadre, il existe désormais un régime spécifique, applicable pendant une durée limitée à deux ans. La mise à disposition doit être acceptée par le salarié par écrit et donner lieu à une convention. »

Quelles garanties et quelles protections ?

Une telle mission ne peut être imposée à quiconque et elle est bien encadrée. Le Code du travail en précise les conditions dans son article L. 8241-2, qui autorise les opérations de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif : le cadre du mécénat de compétences. Premier principe, le volontariat. Un salarié peut refuser la mise à disposition en invoquant la modification d’une clause essentielle de son contrat de travail. Son refus ne peut être sanctionné ou donner lieu à un licenciement.

L’avocate en droit social Lydia Hamoudi insiste sur la nécessité de préciser les conditions de la mission dans une convention tripartite entre l’entreprise, le salarié et l’association : « Sur le plan juridique, sa rédaction n’est pas obligatoire. Toutefois, ce document est très important car il définit le cadre du mécénat et les engagements des parties. Il permettra donc de limiter le risque de procédure judiciaire qui peut survenir, notamment en cas d’action du salarié ou de non-réalisation du projet. »

Le contrat du salarié missionné n’est ni rompu ni suspendu. Un avenant peut préciser le contenu des tâches, les caractéristiques du poste, les lieux et les horaires de travail. « Nous indiquons les compétences qui devront être mises en œuvre pour éviter un inconfort du salarié, explique Olivia Ferré, secrétaire générale de la Fondation Identicar. Et nous renouvelons l’accord avec lui tous les six mois. »

Quels effets sur la rémunération, les objectifs, le management ?

Concernant la rémunération, le salaire de base est maintenu. « Il n’est pas interdit de prévoir dans l’avenant du salarié que le salaire versé sera moins élevé que lorsqu’il travaille au sein de son entreprise en supprimant les rémunérations variables, signale Lydia Hamoudi. Toutefois, le salarié devra donner son accord. » Beaucoup d’entreprises maintiennent une partie de rémunération variable en considérant une moyenne sur une période précédant la mission.

Bon à savoir // Comme avant

À l’issue de sa mise à disposition, le salarié doit impérativement retrouver son poste d’origine ou un poste équivalent dans l’entreprise. L’évolution de sa carrière ou de sa rémunération ne peut pas être affectée.

Chez Identicar, le service des ressources humaines a aussi donné instruction aux managers de proratiser les objectifs, qui ont une influence sur les bonus collectifs, en fonction des jours de mécénat utilisés par les membres de l’équipe. Un moyen efficace pour pas reporter sur les collègues les éventuels effets des absences pour cause de mission solidaire dans cette entreprise où une centaine de salariés sur 250 utilisent un crédit temps pour le mécénat.

En cas de détachement, « l’entreprise mécène reste l’employeur du salarié qui demeure sous sa direction et son contrôle, ajoute Lydia Hamoudi. Il est donc indispensable qu’elle assure la maîtrise et le suivi des tâches prévues dans la convention, et qu’elle continue d’exercer ses prérogatives d’employeur (entretiens d’évaluation, exercice du pouvoir disciplinaire, etc.). Le bénéficiaire sera quant à lui responsable des conditions d’exécution des prestations. D’où l’importance de prévoir des modalités de communication entre les deux structures, par exemple sous forme de points d’étape ».