Orientations stratégiques et consultation ponctuelle : deux consultations autonomes ?

ARTICLE PUBLIE DANS LES CAHIERS SOCIAUX

Orientations stratégiques et consultation ponctuelle : deux consultations autonomes ?

Auteur : Lydia Hamoudi, avocate associée 

 

Dans un arrêt du 3 mai 2018, la cour d’appel de Paris a apporté des précisions quant à la notion d’orientations stratégiques et à l’articulation entre la consultation annuelle du comité d’entreprise sur ce thème et celle sur un projet ponctuel de réorganisation. Toutefois, il est à craindre que cette décision ne suffise pas à sécuriser les entreprises…

CA Paris, pôle 6, ch. 2, 3 mai 2018, no 17/09307

 

Au début de l’année 2016, la société Natixis annonce la mise en place d’un projet d’externalisation de son service informatique et lance une procédure de consultation de son comité central d’entreprise. Ce dernier refuse de rendre un avis, considérant que la consultation ponctuelle sur la réorganisation ne pouvait être menée dès lors que ce projet ne lui avait pas été présenté dans le cadre de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques de l’entreprise, menée l’année précédente.

Dans son arrêt du 3 mai 2018, la cour d’appel de Paris rend une décision intéressante, puisqu’elle fournit des indications sur la notion d’orientations stratégiques et son articulation avec les consultations ponctuelles du comité d’entreprise, mais dont la portée devra être précisée.

 

Les orientations stratégiques, un outil de dialogue et d’anticipation

L’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 avait pour ambition de renforcer l’information des salariés en vue de leur permettre de comprendre la stratégie de l’entreprise et d’en anticiper les conséquences. Dans cette perspective, il était apparu indispensable aux signataires de l’ANI d’assurer une représentation des salariés « au moment où le projet se construit », de sorte que « la stratégie adoptée pourra (…) n’occulter aucun des problèmes éventuels et prévoir à temps les solutions adaptées ». Il était alors question de consultation sur « les options stratégiques possibles et des conséquences anticipées de chaque option » (ANI, 11 janv. 2013). La loi du 14 juin 2013 a consacré la consultation annuelle du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques, dans des termes quelque peu différents, mais avec pour ambition d’« aller plus loin dans le sens d’une meilleure association des partenaires sociaux à la stratégie de l’entreprise » (selon l’exposé des motifs). La loi Rebsamen du 17 août 2015 y a intégré la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et les orientations de la formation professionnelle.

Fruit de ces évolutions successives, l’ancien article L. 2323-10 du Code du travail, applicable au litige, dispose notamment que « le comité d’entreprise est consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, définies par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, et sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages (…) ». Dans ce cadre, le comité rend un avis et peut, le cas échéant, proposer des orientations alternatives. S’instaure alors une discussion entre cette institution et l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance de l’entreprise, qui reçoit son avis et formule une réponse argumentée, à laquelle le comité peut également répondre. Ainsi, les orientations stratégiques sont un outil de dialogue entre les salariés, au-travers du comité d’entreprise, et les organes de direction et de surveillance de l’entreprise. Ce faisant, le législateur a entendu permettre un dialogue social en amont des décisions, au stade de l’élaboration de la stratégie dont elles sont issues.

 

Précisions sur la notion d’orientations stratégiques

La notion même d’orientations stratégiques n’est pas fixée par le Code du travail. La doctrine s’est donc légitimement interrogée sur son contenu, ainsi que sur le degré de précision des informations devant être transmises par l’employeur dans ce cadre (Géa F., « La réforme de l’information et de la consultation du comité d’entreprise – Bâtir une  » culture de la confiance » », Dr. soc. 2013, p. 717 ; Martinon A., « L’information et la consultation des représentants du personnel : nouveaux droits ou partage des responsabilités ? », JCP S 2013, 1263 ; Stocki A., « Loi de sécurisation de l’emploi et information et consultation du comité d’entreprise : un nouvel équilibre ? », Cah. soc. juill. 2013, n° 110z6, p. 298 ; Berthier P.-E., « L’information et la consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques de l’entreprise », Cah. soc. avr. 2016, n° 118h0, p. 197 ; Strocki A., « La consultation sur les orientations stratégiques : une vraie fausse nouveauté ? », Cah. soc. févr. 2014, n° 112q1, p. 134).

Le terme « orientations » amène nécessairement à l’exclure de toute notion de décision ou de projet. En effet, la philosophie du dispositif conduit à se situer temporellement en amont. L’objet de la consultation n’est donc pas l’action envisagée par l’employeur mais les éléments dont elle est la résultante. En ce sens, l’ANI du 11 janvier 2013 précisait que son objectif est de « comprendre la stratégie de l’entreprise au travers des leviers et contraintes qui la déterminent ». À cet égard, le Code du travail prévoit toutefois que le comité est également consulté sur les conséquences de ces orientations stratégiques, « sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages ». Est-ce à dire que le conseil d’administration ou le conseil de surveillance doivent d’ores et déjà préciser les mesures qu’ils envisagent de mettre en œuvre ?

Dans son arrêt du 3 mai dernier, la cour d’appel de Paris relève que, lors de la consultation du comité central sur les orientations stratégiques, le projet n’était qu’au stade de la réflexion. Elle précise que la consultation sur les orientations stratégiques porte sur des orientations générales et doit permettre un véritable échange entre le comité et la direction sur la stratégie de l’entreprise, « dans le dessein d’en anticiper ses conséquences pour les salariés et de lui permettre d’appréhender annuellement les objectifs et axes de développement à court et moyen terme de l’entreprise ou ses actions défensives ou de consolidation, en considération de son environnement économique et concurrentiel ». Les orientations stratégiques sont donc des données générales conçues comme un outil d’anticipation sur les évolutions futures de l’entreprise dans son contexte, notamment économique.

 

L’articulation entre la consultation sur les orientations stratégiques et celle sur un projet ponctuel de réorganisation

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, le comité central d’entreprise et les organisations syndicales avaient saisi le tribunal de grande instance de Paris pour lui demander de déclarer la consultation sur la réorganisation illégale et de suspendre sa mise en œuvre tant que l’entreprise n’aura pas organisé une consultation sur les orientations stratégiques incluant ce projet.

La cour d’appel de Paris répond que la consultation sur les orientations stratégiques n’a pas vocation à être mise en œuvre à l’occasion d’un projet ponctuel de réorganisation d’un service, qui relève de dispositions spécifiques. En conséquence, elle approuve le tribunal de grande instance de Paris d’avoir considéré qu’en présence d’un projet ponctuel :

– l’employeur n’est pas tenu d’attendre l’échéance d’une des trois consultations annuelles obligatoires ni d’anticiper la consultation par rapport à sa périodicité habituelle ou conventionnelle, ou de la réitérer si celle-ci a eu lieu ;

– il n’est pas prévu de primauté ou même de hiérarchisation, non seulement entre ces différentes consultations, mais encore avec celle qui doit être mise en œuvre à l’occasion d’un projet ponctuel, lequel doit de toute façon faire l’objet d’une consultation immédiate du comité ;

– l’employeur conserve une entière liberté de soumettre tout projet ponctuel, qui n’est pas la mise en œuvre ou la déclinaison d’une stratégie générale prédéfinie, à la consultation du comité d’entreprise dès le moment où son objet lui apparaît suffisamment déterminé pour que son adoption ait une incidence sur l’organisation, la gestion et la marche de l’entreprise.

Ainsi, la consultation sur les orientations stratégique est indépendante de toute consultation portant sur un projet ponctuel de réorganisation et l’employeur n’est donc tenu, ni de fixer son calendrier de consultation en fonction de cette consultation, ni de reconsulter sur les orientations stratégiques lorsqu’il envisage un tel projet. Au cas présent, le comité ayant disposé de l’ensemble des informations nécessaires, sans qu’une dissimulation d’information lors de la consultation sur les orientations stratégiques ne soit démontrée, aucune violation des prérogatives du comité central ne pouvait être reprochée à l’employeur.

Cette solution bienvenue est à la foi cohérente et pragmatique, étant rappelé qu’un des objectifs de la loi de 2013 était précisément d’éviter l’empilement des obligations de consultation et l’alourdissement des procédures. Elle est certainement à rapprocher d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 septembre 2009, dans lequel cette dernière a considéré que la régularité de la consultation du comité d’entreprise sur un projet de licenciement économique n’est pas subordonnée au respect préalable par l’employeur de la consultation sur l’évolution annuelle des emplois et des qualifications, ni de l’obligation d’engager tous les trois ans une négociation sur la GPEC (Cass. soc., 30 sept. 2009, n° 07-20.525, JCP S 2009, 1526, note Aubonnet F. et Ventéjou C.).

 

Des incertitudes qui demeurent…

L’arrêt du 3 mai 2018 écarte donc l’analyse selon laquelle le projet ponctuel de réorganisation procédait nécessairement d’un positionnement stratégique de la société devant à ce titre être inclus dans la consultation annuelle sur les orientations stratégiques.

Pourtant, le tribunal de grande instance de Nanterre vient de rendre deux décisions en sens contraire. En effet, le 28 mai 2018, il a considéré que le refus d’organiser une consultation sur les orientations stratégiques incluant un projet de cession de la société constitue un trouble manifestement illicite. Selon le tribunal, ce projet constituait en effet un « changement significatif de la stratégie d’internalisation des services du groupe Iliad et s’inscrit ainsi nécessairement dans un changement des orientations stratégiques » (TGI Nanterre, 28 mai 2018, RG n° 18/01187, Société Mobipel, Société Management Centre de Relation Abonné). Dans une décision du 30 mai 2018, il a rendu une décision similaire s’agissant d’une procédure de PSE. En l’espèce, le tribunal a considéré que les informations transmises lors de la consultation sur les orientations stratégiques étaient lacunaires, de sorte que le délai de consultation n’avait pas couru. En conséquence, le PSE postérieur, qui constituait une « mesure d’application des orientations stratégiques », devait être suspendu (TGI Nanterre, 30 mai 2018, RG n° 18/00552, SAS CCEP).

Dans ces décisions, le tribunal de grande instance de Nanterre a donc considéré que les projets soumis à la consultation ponctuelle du comité d’entreprise procédaient des orientations stratégiques. Cette position, si elle a le mérite de préserver l’effet utile de la consultation sur les orientations stratégiques, alourdit sensiblement les procédures de consultation et est porteuse d’insécurité juridique. Doit-on considérer que la consultation sur les orientations stratégiques est un préalable aux consultations ponctuelles susceptibles de relever de la stratégie de l’entreprise ? Ou, à la lecture de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 mai 2018, faut-il distinguer selon que le projet ponctuel était ou non suffisamment défini lorsque le comité a été consulté sur les orientations stratégiques, ou encore selon que l’employeur a transmis ou non des informations suffisantes dans le cadre de cette consultation ? Une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation sur le sujet serait bienvenue.

Dans l’intervalle, il est recommandé aux employeurs d’être extrêmement vigilants dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques, pour éviter les difficultés lors de consultations ponctuelles ultérieures. Rappelons que, depuis les ordonnances du 22 septembre et du 20 décembre 2017, une grande latitude est laissée aux entreprises et aux partenaires sociaux (ou en l’absence de délégué syndical, au comité social et économique) pour adapter le contenu, les modalités et la périodicité de la consultation récurrente sur les orientations stratégiques (C. trav., art. L. 2312-19 et s.). Les décisions du tribunal de grande instance de Nanterre précitées semblent difficilement conciliables avec ces nouvelles dispositions…

 

Auteur :  Lydia Hamoudi, avocate associée

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Issu de Les Cahiers Sociaux – n°309 – page 343

Date de parution : 01/07/2018

Id : CSB123k5

Réf : Cah. soc. juill. 2018, n° 123k5, p. 343