Le point sur la procédure d’appel en matière prud’homale

ARTICLE PARU DANS LA GAZETTE DU PALAIS

Le point sur la procédure d’appel en matière prud’homale

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Par deux avis du 5 mai 2017, la Cour de cassation a répondu à la question de l’application des règles de la postulation prévues par la loi du 31 décembre 1971 aux cours d’appel statuant en matière prud’homale. Quelques jours plus tard, deux décrets des 6 et 10 mai 2017 sont venus préciser les modalités de communication des actes de procédure par les défenseurs syndicaux et les avocats. Toutefois, des incertitudes juridiques subsistent pour les professionnels du droit.

Références : L. n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : JO, 7 août 2015 ; Cass., avis, 5 mai 2017, nos 17006 et 17007 (demandes nos T 17-70.004 et U 17-70.005); D. n° 2017-891, 6 mai 2017, relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile; D. n° 2017-1008, 10 mai 2017, portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail.

Une réforme de la juridiction prud’homale était nécessaire, tant les dysfonctionnements constatés étaient nombreux et inacceptables (délais de traitement des dossiers anormalement longs, taux d’appels élevés, etc.). Elle était d’ailleurs devenue inévitable suite au diagnostic sans appel formulé par le président Lacabarats dans son rapport remis à Christiane Taubira au mois de juillet 20141.

La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques2 dite Macron et ses décrets d’application3 ont réformé la justice prud’homale en profondeur, avec pour objectif de la rendre plus rapide, sûre et prévisible. Le rapport sur le suivi de cette réforme, remis le 19 avril dernier par Christine Rostand, ancienne présidente de la chambre sociale de la cour d’appel de Paris, dresse d’ailleurs un premier bilan positif de cette réforme4.

Toutefois, certaines dispositions sont, aujourd’hui encore, discutées voire critiquées. Tel est le cas de celles relatives à la procédure d’appel en matière prud’homale, instituées par la loi précitée et le décret du 20 mai 20165, en raison des incertitudes qu’elles suscitent.

Un point s’impose, au lendemain des avis rendus par la Cour de cassation le 5 mai dernier sur la question de la postulation territoriale devant la cour d’appel en matière sociale6 et de la publication du décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile et du décret du 10 mai 2017 portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail7.

 

I – La nouvelle procédure d’appel en matière prud’homale

Auparavant, les chambres sociales des cours d’appel étaient soumises au régime de la procédure orale sans représentation obligatoire. L’article R. 1461-2 du Code du travail issu du décret du 20 mai 2016 dispose désormais en son alinéa 2 que « l’appel est formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire » prévue aux articles 900 et suivants du Code de procédure civile.

Depuis le 1er août 2016, les parties doivent donc être représentées devant la cour d’appel en matière prud’homale (C. trav., art. R. 1461-2). Toutefois, afin de ne pas restreindre l’accès des plaideurs, et en particulier des salariés, à la justice prud’homale, les parties peuvent faire appel, soit à un avocat, soit à un défenseur syndical (C. trav., art. L. 1453-4).

L’appelant dispose désormais d’un délai de 3 mois pour déposer ses conclusions devant la cour d’appel à peine de caducité de la déclaration d’appel (CPC, art. 908) et l’intimé de 2 mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour répondre, sous peine d’irrecevabilité de ses conclusions relevée d’office (CPC, art. 909)8. À cet égard, rappelons que, dans le cadre de la procédure avec représentation obligatoire classique, les actes de procédure doivent, en principe, être régularisés par voie électronique (via le réseau privé virtuel des avocats – RPVA), à peine d’irrecevabilité relevée d’office (CPC, art. 930-1).

Les avocats disposent à cet effet d’un accès à un boîtier RPVA leur permettant d’échanger avec la cour d’appel dans le ressort de laquelle ils sont établis, ou, dans le cadre de la multipostulation, des cours d’appel dans lesquelles ils sont admis à postuler9. En revanche, le défenseur syndical n’a pas accès à ce réseau. Afin de contourner cette difficulté, le décret du 20 mai 2016 a institué en sa faveur une exception à la communication électronique en vertu de laquelle ses actes de procédure sont établis et transmis au greffe sur support papier (CPC, art. 930-1, al. 2).

Ces aménagements ont suscité plusieurs interrogations de la part des praticiens et commentateurs :

  • en premier lieu, se posait la question de l’application du régime de la postulation territoriale prévue par l’article 5 de la loi du 31 décembre 197110, puisque l’avocat ne peut postuler que dans la cour d’appel dans le ressort de laquelle il est établi, tandis que le défenseur syndical peut exercer ses fonctions « dans le ressort des cours d’appels de la région » correspondant à la liste sur laquelle il est inscrit, ce qui est beaucoup plus vaste (trav., art. D. 1453-2-4) ;
  • en second lieu, écarter la postulation en matière prud’homale soulève nécessairement des difficultés tenant à l’exigence de communication électronique via le RPVA, puisque l’avocat ne peut techniquement pas l’utiliser pour transmettre ses actes de procédure aux cours d’appel autres que celle dans le ressort de laquelle il est établi.

II – Une procédure d’appel sui generis

Les avocats peuvent-ils s’affranchir des règles de la postulation territoriale devant la cour d’appel en matière sociale ? Dans une circulaire du 27 juillet 2016, le ministère de la Justice a répondu par l’affirmative. Selon lui, « le régime de la postulation territoriale n’est pas applicable », le décret du 20 mai 2016 « ne procédant pas à une extension de la procédure avec représentation obligatoire, mais instaurant une procédure spécifique propre à la matière prud’homale ». La preuve en serait notamment que cette procédure échappe au monopole d’assistance et de représentation par avocat, puisque le recours à un défenseur syndical est admis11. Il s’agirait donc d’une procédure hybride, c’est-à-dire avec représentation obligatoire (quoiqu’aménagée), mais affranchie des règles de postulation.

À cet égard, il convient de rappeler que les risques encourus par l’avocat sont majeurs. En effet, l’appel interjeté en méconnaissance du principe de la postulation est nul12. De même, s’abstenir de communiquer par RPVA exposerait l’avocat à une irrecevabilité de sa déclaration d’appel ou de ses conclusions (CPC, art. 930-1). Il serait donc bien périlleux pour les avocats de ne pas respecter ces dispositions légales sur la seule base d’une circulaire.

À tel point que le barreau de Paris a d’ailleurs discuté la position du ministère dès le mois de septembre 2016, en soulignant que l’existence d’une exception à la notion de représentation obligatoire (assistance par un délégué syndical) en matière sociale, ne permet pas, à elle seule, d’écarter le principe de territorialité de la postulation prévu par la loi du 31 décembre 1971. En l’absence de disposition légale l’autorisant, il a en conséquence recommandé aux avocats amenés à représenter une partie devant une autre cour que celle dans le ressort de laquelle ils sont inscrits, « de solliciter l’intervention d’un confrère postulant inscrit dans le ressort de la cour d’appel saisie ».

Sur cette question, les quelques décisions rendues depuis lors étaient divergentes. Ainsi, dans un arrêt du 24 février 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a repris à son compte la position du ministère, en considérant que « les dispositions du décret du 20 mai 2016 (…) n’ont ni pour objet ni pour effet d’étendre (…) les règles de postulation »13. Dans une ordonnance rendue un mois plus tard, un conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Pau considérait, à l’instar du barreau de Paris, qu’en l’absence de disposition légale instituant une exception au principe de la postulation, ce dernier s’applique à l’appel en matière sociale. À cet égard, il relève d’ailleurs dans son ordonnance que l’application à l’appel prud’homal de l’article 930-1 du Code de procédure civile imposant le recours au RPVA « va également dans le sens de cette analyse dès lors que seuls les avocats ayant établi leur résidence professionnelle dans le ressort de la cour d’appel ont accès au réseau de communication par voie électronique de cette cour »14.

Compte tenu de l’incertitude juridique existante et des risques inacceptables qu’elle impliquait, les avocats recouraient donc très majoritairement aux services d’un postulant. Cette solution n’est évidemment pas satisfaisante dans la mesure où elle alourdit la procédure et impose aux parties, et notamment aux salariés, d’exposer des frais supplémentaires. Toutefois, il s’agissait alors de la seule qui soit juridiquement sécurisée.

Saisie par la cour d’appel de Versailles d’une demande d’avis15 sur cette question, à l’initiative notamment du Syndicat des avocats de France16, la Cour de cassation a entendu mettre un terme à cette situation par deux avis du 5 mai dernier, dans lesquels elle a considéré que les règles de la postulation « ne s’appliquent pas devant les cours d’appel statuant en matière prud’homale, consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ». En effet, les articles R. 1461-2 et L. 1453-4 du Code du travail instituent « une procédure spécifique de représentation obligatoire propre à la matière prud’homale, permettant aux parties d’être représentées non seulement par un avocat mais aussi par un défenseur syndical » et « élargissent le champ territorial de la postulation des avocats à l’effet, dans un objectif d’intérêt général, de simplifier et de rendre moins onéreux l’accès au service public de la justice »17.

La haute juridiction a donc considéré que, le législateur ayant offert aux justiciables la faculté de se faire représenter par un défenseur syndical dans le but de rendre la procédure d’appel plus simple et moins coûteuse, les règles de la postulation territoriale, dont l’application aurait l’effet inverse, doivent être écartées. Partant, il s’agit bien d’une procédure sui generis, propre à la matière prud’homale.

Ces avis sécurisent les procédures d’appel, à tout le moins s’agissant de la question de la postulation territoriale. En effet, les décisions judiciaires qui seront rendues sur le sujet seront nécessairement conformes à la position adoptée par la Cour de cassation.

 

III – Les derniers ajustements réglementaires

Dans un communiqué de presse du 28 avril dernier, le ministre de la Justice avait annoncé la publication d’un décret de simplification des dispositions issues du décret du 20 mai 2016. Ce décret18, daté du 10 mai 2017, vient d’être publié au moment où nous écrivons ces lignes.

S’agissant de la procédure d’appel, il revient sur les incertitudes tenant à la notion de remise des actes de procédure au greffe. En effet, les interprétations des cours d’appel divergeaient sur la question de savoir si un envoi par lettre recommandée avec accusé de réception devait être admis, certaines cours imposant aux défenseurs syndicaux de se déplacer au greffe pour les remettre en main propre19.

À cet égard, le décret du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile20, qui entrera en vigueur le 1er septembre prochain, a admis l’envoi par les avocats de leurs actes de procédure par courrier recommandé, lorsqu’une transmission par voie électronique est impossible en raison de la cause étrangère prévue à l’alinéa 2 de l’article 930-121.

Le décret du 10 mai dernier modifie l’article 930-2 du Code de procédure civile, qui prévoit également désormais que « les actes de procédure effectués par le défenseur syndical peuvent être établis sur support papier et remis au greffe ou lui être adressés par lettre recommandée avec demande d’avis de réception »22.

Ces précisions, qui permettront d’harmoniser les pratiques des cours d’appel et d’assurer la régularité des actes de procédure des défenseurs syndicaux, sont évidemment les bienvenues. Toutefois, elles ne permettent pas de lever toutes les incertitudes juridiques existantes pour les avocats.

 

IV – Des incertitudes juridiques persistantes

Malheureusement, les avis de la Cour de cassation du 5 mai 2017 et les décrets des 6 et 10 mai 2017 n’écartent pas toute difficulté juridique.

En effet, comme il a été exposé précédemment, en dehors de la multipostulation, seuls ont accès au RPVA des cours d’appel les avocats inscrits dans leur ressort. Ainsi, les avocats extérieurs se trouveront en pratique confrontés à une difficulté majeure, et ce d’autant plus que, comme exposé précédemment, la communication des actes de procédure par voie électronique est prescrite à peine d’irrecevabilité23.

À cet égard, il pourrait être recouru à l’alinéa 2 de l’article 930-1 du Code de procédure civile, qui permet aux avocats de remettre au greffe leurs actes de procédure établis sur support papier lorsqu’ils ne peuvent « être transmis par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui l’accomplit ». Toutefois, pourrait-on considérer que la non-application des règles de la postulation territoriale en matière prud’homale constitue une telle cause ? D’ailleurs, cette exception ne vise-t-elle pas seulement les avaries techniques (dysfonctionnement du RPVA, indisponibilité du serveur de la cour d’appel, etc.) ?

Notons à ce sujet que l’article 30 du décret du 6 mai 2017 modifie le second alinéa de l’article 930-1 du Code de procédure civile, et non le premier. Ainsi, contrairement à ce qu’a laissé entendre le barreau de Paris récemment24, l’envoi des actes de procédure par lettre recommandée ne devrait être admis que lorsqu’ils ne peuvent être transmis par voie électronique du fait de la cause étrangère précitée25.

Cette question devrait être précisée, par la jurisprudence ou le règlement. Elle pourrait également être aisément résolue par la mise en place d’un RPVA national pour les chambres sociales des cours d’appel26. Dans l’intervalle, il est prévisible que nombre de confrères continueront à faire appel à un postulant en dépit des avis de la Cour de cassation du 5 mai 2017. Cette situation est pour le moins paradoxale au regard de l’objectif de la réforme, de simplification et d’accessibilité de la justice prud’homale.

 

Auteur : Lydia Hamoudi, avocate associée

 

Issu de Gazette du Palais – n°22 – page 10

Date de parution : 13/06/2017

Id : GPL296m7

Réf : Gaz. Pal. 13 juin 2017, n° 296m7, p. 10

 

Notes de bas de page

1 – Rapp. Lacabarats A., « L’avenir des juridictions du travail : vers un tribunal prud’homal du XXIe siècle », juill. 2014.

2 – n° 2015-990, 6 août 2015, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques : JO, 7 août 2015.

3 – n° 2016-660, 20 mai 2016; D. n° 2016-975, 18 juill. 2016 ; D. n° 2016-1359, 11 oct. 2016. V. égal. : ord. n° 2016-388, 31 mars 2016.

4 – Rapp. Rostand C., « Mission de soutien et d’accompagnement à la réforme de la justice prud’homale », 19 avr. 2017.

5 – n° 2016-660, 20 mai 2016.

6 – Cass., avis, 5 mai 2017, nos 17006 et 17007 (demandes nos T 17-70004 et U 17-70005).

7 – n° 2017-1008, 10 mai 2017; D. n° 2017-891, 6 mai 2017.

8 – Ces délais vont être modifiés par suite du décret du 6 mai 2017 précité. À compter du 1er septembre prochain, ils seront en effet harmonisés à 3 mois dans le cadre du « circuit long » (D. n° 2017-891, 6 mai 2017, art. 21).

9 – n° 71-1130, 31 déc. 1971, art. 5 et 5-1.

10 – n° 71-1130, 31 déc. 1971.

11 – Circ. DACS, 27 juill. 2016, II, A.

12 – Cass. 2e civ., 9 janv. 1991, n° 89-12457.

13 – CA Aix-en-Provence, 24 févr. 2017, n° 16/20625.

14 –

CA Pau, 23 mars 2017, n° 16/04357.

15 –

En effet, les juridictions judiciaires confrontées à « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges » peuvent solliciter l’avis de la Cour de cassation (COJ, art. L. 441-1 et s ; CPC, art. 1031-1 et s.).

16 – CA Versailles, 8 févr. 2017, n° 16/04187.

17 – Cass., avis, 5 mai 2017, nos 17006 et 17007 (demandes nos T 17-70004 et U 17-70005).

18 – n° 2017-1008, 10 mai 2017, portant diverses dispositions procédurales relatives aux juridictions du travail.

19 – Rapp. « Mission de soutien et d’accompagnement à la réforme de la justice prud’homale », 19 avr. 2017, préc.

20 – n° 2017-891, 6 mai 2017.

21 – n° 2017-891, 6 mai 2017, art. 30.

22 – S’agissant des échanges entre les parties, un nouvel article 930-3 précise qu’ils « sont effectués par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie de signification ».

23 – CPC, art. 930-1.

24 – Barreau de Paris, newsletter n° 18, 16 mai 2017.

25 – Du reste, rappelons que le nouvel article 930-1 du Code de procédure civile, ne sera applicable que le 1er septembre 2017 (D. n° 2017-1008, 10 mai 2017, art. 53).

26 – Toutefois, notons que la mise en place d’un dispositif national risquerait fort de se heurter à la résistance de certains barreaux, qui pourraient y voir une étape franchie vers la suppression de la postulation territoriale.