La licéité du système de géolocalisation mis en place aux fins de contrôle du temps de travail des salariés

ARTICLE PUBLIE DANS LES CAHIERS SOCIAUX DU BARREAU DE PARIS

La licéité du système de géolocalisation mis en place aux fins de contrôle du temps de travail des salariés

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Les systèmes de géolocalisation permettant à l’employeur de déterminer la position géographique d’un salarié en temps réel se sont beaucoup développés ces dernières années et sont aujourd’hui assez largement utilisés par les sociétés confrontées à des problématiques de sécurité ou de contrôle de l’activité des salariés (sociétés de taxi, de transports routiers, etc.).

Dans son arrêt du 13 janvier 2017, la cour d’appel de Lyon valide un dispositif de géolocalisation mis en place par une société pour contrôler et décompter le temps de travail de ses salariés (CA Lyon, 13 janv. 2017, no 16/05193).

I. Le recours à la géolocalisation pour contrôler la durée du travail des salariés

Il s’agissait en l’espèce d’une filiale du groupe La Poste spécialisée dans la distribution d’imprimés publicitaires et de journaux gratuits. En vertu d’une dérogation au décompte quotidien et hebdomadaire de la durée du travail applicable dans la branche de la Distribution directe s’agissant des salariés salariés exerçant une activité de distribution ou de portage de documents, elle calculait la durée du travail de ses salariés distributeurs sur la base d’une quantification préalable de ses missions, en fonction de critères préétablis.

Compte-tenu de l’annulation par le Conseil d’état du décret du 8 juillet 2010 instituant ladite dérogation (CE, 28 mars 2012, n° 343072 et 343166), la société avait entendu équiper ces salariés d’un boîtier mobile qui enregistre leur temps de distribution du courrier par géolocalisation, afin de répondre à son obligation de décompte de la durée du travail.

Ce projet ayant fait l’objet d’un avis favorable des CHSCT, la société avait tenté de conclure un accord collectif d’entreprise sur le calcul et l’enregistrement du temps de travail des distributeurs. Cependant, les organisations syndicales majoritaires ont refusé de signer le projet d’accord et elle a donc procédé à la mise en place du dispositif de géolocalisation de manière unilatérale.

La fédération Sud des activités postales et des télécommunications (« Sud ») a alors saisi le tribunal de grande instance de Lyon pour lui demander de déclarer ce système illicite et de faire interdiction à la société d’en poursuivre la mise en place et l’exploitation, sous astreinte. Par un jugement du 7 juin 2016, ce dernier l’a débouté de ses demandes.

Sud a interjeté appel de cette décision, en faisant valoir notamment que le système de géolocalisation entraînait une perte d’autonomie des distributeurs, présentait un défaut de proportionnalité au but recherché et pouvait avoir un impact négatif sur la santé morale et physique des salariés.

II. L’appréciation de la licéité du système de géolocalisation

Dans son arrêt du 13 janvier 2017, la cour d’appel de Lyon rappelle les dispositions de l’article L. 1121-1 du Code du travail, qui dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Elle confirme la décision du tribunal de grande instance et valide le dispositif de géolocalisation. En effet, selon la cour, les distributeurs bénéficient d’une autonomie relative (A.) et sa mise en place est proportionnée au but recherché par la société (B.). Par ailleurs, le système retenu n’engendre pas de risque pour la santé des salariés concernés (C.).

A. L’autonomie relative des salariés distributeurs

Le syndicat Sud avait tenté de faire valoir que le dispositif de géolocalisation était incompatible avec l’autonomie dont disposaient les distributeurs.

En effet, dans un arrêt du 3 novembre 2011, la chambre sociale de la Cour de cassation avait considéré, au visa de l’article L. 1121-1 précité, que l’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est pas justifiée lorsque le salarié dispose d’une liberté dans l’organisation de son travail (Cass. soc., 3 nov. 2011, n° 10-18036 : Bull. civ. V, n° 247 – voir également, Cass. soc., 17 déc. 2014, n° 13-23645).

À cet égard, Sud avançait que, même si leur autonomie n’était pas totale, la mise en place du dispositif privait les distributeurs de leur liberté d’organiser leurs journées de travail, ce qui entraînait une dégradation du climat social.

Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel relève que les distributeurs ne bénéficient que d’une autonomie d’organisation relative (management par des chefs de secteurs, phases de préparation de distribution pré-quantifiées, feuille de route etc.). Au surplus, le salarié ne déclenche le boîtier de géolocalisation que par une action volontaire, uniquement pendant ses phases de distribution, et peut l’éteindre à tout moment.

En conséquence, selon la cour, le distributeur reste toujours libre d’organiser ses heures de travail comme il le souhaite dans le respect des règles légales et des délais de distribution.

B. La proportionnalité du dispositif au but recherché

Sud reprochait également au système mis en place par la société un défaut de proportionnalité au but recherché par la société. À cet égard, il avançait, d’une part, que l’utilisation du système retenu permet en réalité de contrôler la qualité de la prestation commerciale, finalité qui n’est pas autorisée par la CNIL, et, d’autre part, qu’il existait d’autres moyens de suivi du temps de travail, notamment l’utilisation d’une auto-déclaration ou d’une badge pointeuse mobile.

Dans une délibération du 4 juin 2015, la CNIL a en effet précisé les conditions dans lesquelles un système de géolocalisation des véhicules peut être mis en œuvre dans le respect de la loi Informatique et Libertés et faire l’objet d’une norme simplifiée de déclaration. Ainsi, le traitement issu d’un dispositif de géolocalisation des salariés peut avoir pour finalité le suivi du temps de travail, lorsque ce dernier ne peut être réalisé par un autre moyen (norme simplifiée n° 51 : délib. CNIL, 4 juin 2015).

À cet égard, la Cour de cassation considère également, toujours au visa de l’article L. 1121-1 du Code du travail, que l’utilisation d’un système de géolocalisation n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen. Par ailleurs, selon la Haute juridiction, un système de géolocalisation ne peut être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles déclarées auprès de la CNIL et portées à la connaissance des salariés (Cass. soc., 3 nov. 2011 et Cass. soc., 17 déc. 2014, préc.).

Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel de Lyon rappelle que « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, c’est aussi à la condition que le dispositif de contrôle soit justifié par rapport à la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché ».

Elle considère que la norme simplifiée n° 51 précitée « bien que relative à la géolocalisation des véhicules constitue une référence « en miroir » pour la géolocalisation des personnes ». Ainsi, la réglementation édictée par la CNIL est applicable même si la géolocalisation est réalisée au moyen d’un boîtier mobile que les salariés portent sur eux.

Au cas présent, la société avait déclaré à la CNIL trois finalités du système de géolocalisation, à savoir enregistrer et contrôler le temps de travail des distributeurs, renforcer leur sécurité et mesurer le taux de distribution effective.

Sur ce point, elle relève que, dans le cadre du système mis en place, le distributeur est rémunéré sur la base de la durée la plus importante entre le temps de travail pré-quantifié et celui qui est enregistré par géolocalisation. Dès lors, elle considère qu’il n’a pas pour objet de s’assurer de l’exécution par le salarié de sa prestation de travail dans le cadre du temps pré-quantifié, comme avancé par Sud.

En outre, selon la cour, le syndicat n’établit pas que le suivi du temps de travail de la distribution pourrait se faire par un autre moyen plus proportionné, les dispositifs suggérés par lui n’étant pas adaptés à l’activité de distribution directe.

En conséquence, le système de géolocalisation est bien justifié par rapport à la nature de la tâche à accomplir et proportionné au but recherché par l’employeur selon la cour d’appel de Lyon.

C. L’absence d’impact sur la santé morale et physique des distributeurs

Sud considérait enfin que le boîtier électronique que le salarié doit porter sur lui et qui émet des signaux toutes les 10 secondes provoque des dommages sur sa santé mentale et physique. Selon le syndicat, il s’agit d’un « outil de flicage », générateur de stress et exposant les salariés concernés aux ondes électromagnétiques.

La cour constate que le système de géolocalisation respecte les normes applicables en la matière et que le syndicat ne démontre pas qu’il aurait un impact néfaste sur la santé morale et physique des salariés. Elle écarte donc également cet argument.

Conclusion. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 13 janvier 2017 est conforme à la jurisprudence constante de la Cour de cassation en matière de recours à la géolocalisation aux fins de contrôle du temps de travail des salariés. Il s’agit d’une des rares décisions à admettre la licéité d’un tel dispositif, la Haute juridiction comme les juges du fond veillant scrupuleusement au respect des droits fondamentaux des salariés.

Auteur : , avocate associée

Réf : Cah. soc. mars 2017, n° 120k9, p. 122