Lanceurs d’alerte : quelle protection ?

ARTICLE PUBLIE DANS LES CAHIERS SOCIAUX

Lanceurs d’alerte : quelle protection ?

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Le 16 décembre 2016, la cour d’appel de Paris a prononcé la nullité du licenciement d’un salarié lanceur d’alerte survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi dite Sapin II du 9 décembre 2016. Cet arrêt amène à s’interroger sur le fondement de la protection conférée aux lanceurs d’alerte (CA Paris, P. 6, ch. 11, 16 déc. 2016, no 11/16550).

L’affaire  

Au mois de juillet 2008, un salarié découvre qu’un de ses collègues se livre à des pratiques de « front running », forme de délit d’initié consistant à acquérir des titres pour son propre compte peu de temps après avoir reçu un ordre d’achat d’un client, puis à les revendre, profitant ainsi de la valorisation à la hausse du cours de l’action qui en découle. Il en alerte les responsables de la déontologie de la société et saisit l’Autorité des Marchés Financiers de ces agissements.

Il est licencié le 4 octobre 2008 pour cause réelle et sérieuse, consistant en une insuffisance professionnelle, un comportement inapproprié et inadmissible à l’égard de ses collègues et son supérieur hiérarchique et un dénigrement de son supérieur, de l’entreprise et du management.

Considérant que le véritable motif de son licenciement tient à l’alerte qu’il a lancée sur les agissements précités, l’intéressé saisit le Conseil de prud’hommes de Paris pour lui demander, à titre principal, d’en constater la nullité. Par jugement du 4 décembre 2013, ce dernier le déboute de cette demande mais juge son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le salarié interjette appel de ce jugement. Dans son arrêt du 16 décembre 2016, la Cour d’appel de Paris retient que « [le salarié] a été licencié pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions […] étant précisé que ces faits caractérisent les conditions d’application de l’article L.1132-3-3 du code du travail. » Elle en déduit qu’« en application de l’article L.1132-4 du code du travail, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul. »

Elle ajoute qu’« en outre ces faits caractérisent aussi une atteinte à la liberté d’expression, en particulier une atteinte au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, et donc une violation de l’article L. 1121-1 du code du travail en sorte que le licenciement [du salarié] prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, caractérisent une infraction pénale, est aussi frappé de nullité en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression ».

La Cour infirme donc le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris sur ce point et prononce la nullité du licenciement sur deux fondements : d’une part, la protection conférée aux lanceurs d’alerte par l’article L. 1132-3-3 du code du travail et, d’autre part, l’atteinte à la liberté d’expression de l’intéressé. Elle ordonne la réintégration du salarié dans l’entreprise et condamne la société à lui verser des dommages-intérêts au titre du préjudice découlant de la perte de rémunération qu’il a subi depuis son licenciement et à reprendre le paiement de son salaire.

Cet arrêt, qui a fait grand bruit dans la presse à la suite de sa révélation par le site Mediapart, est d’importance tant les décisions rendues sur le statut et la protection des lanceurs d’alerte sont rares. Toutefois, le raisonnement adopté par la Cour d’appel de Paris laisse perplexe et amène à s’interroger sur le fondement de la protection du lanceur d’alerte.

 

La non-rétroactivité de la loi nouvelle

L’article L. 1132-3-3 du code du travail dispose qu’« aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […], pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions », la sanction étant la nullité de ladite mesure patronale prévue par l’article L. 1132-4 du code du travail.

Cette disposition est issue de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, qui est entrée en vigueur le lendemain de sa publication, le 8 décembre 2013. Elle n’était donc pas applicable aux faits de l’espèce, qui sont bien antérieurs (2008).

Par suite, il est surprenant que la Cour d’appel de Paris ait appliqué l’article L. 1132-3-3 du code du travail dans l’arrêt commenté, au regard du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, qui est d’ordre public (article 2 du code civil). A cet égard, la loi du 6 décembre 2013 ne contient pas de disposition dérogeant à ce principe et/ou marquant l’intention du législateur d’écarter son application.

 

La violation de la liberté d’expression du lanceur d’alerte

L’arrêt commenté est d’autant plus troublant que la Chambre sociale de la Cour de cassation avait trouvé, quelques mois plus tôt, une parade à la difficulté technique tenant au principe de non-rétroactivité de la loi du 6 décembre 2013 protégeant les lanceurs d’alerte.

En effet, elle avait jugé s’agissant d’un salarié licencié en 2011 pour avoir dénoncé au procureur de la République des agissements d’escroquerie et de détournement de fonds publics, au visa de l’article 10§1 de la CESDH, « qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité » (Cass. soc. 30 juin 2016, n°15-10.557).

Sur ce point, la Chambre sociale considère en effet de longue date que la nullité du licenciement peut être prononcée, non seulement lorsqu’elle est prévue par un texte, mais également lorsque cette mesure contrevient à une liberté fondamentale (Cass. soc. 6 févr. 2013, n°11-11.740 ; Cass. soc. 29 oct. 2013, n°12-22.447). A cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà jugé à plusieurs reprises que les sanctions prises par l’employeur à l’encontre de salariés ayant critiqué le fonctionnement d’un service ou divulgué des agissements illicites sur leur lieu de travail constituent une violation de leur droit d’expression (CEDH 18 octobre 2011, Sosinowska, n°10247/09 ; CEDH 12 février 2008 Guja, n°14277/04).

En rattachant la protection du lanceur d’alerte à la violation de sa liberté d’expression, la Haute juridiction a préservé le droit pour les salariés de signaler un comportement illicite sur leur lieu de travail, quel que soit la date des faits. L’arrêt du 30 juin 2016, publié au bulletin, avait d’ailleurs fait l’objet d’une note explicative publiée sur son site internet, soulignant qu’il « est de nature à protéger les lanceurs d’alerte. »

 

Le fondement de la protection du lanceur d’alerte, une question de date  

La nullité du licenciement du salarié lanceur d’alerte pouvait donc être prononcée, en fonction de la date des faits, sur le fondement :

  • Soit des articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail, pour les faits survenus après l’entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 ;
  • Soit de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la violation d’une liberté fondamentale, pour les faits survenus avant cette date.

Dès lors, on peut se demander pourquoi la Cour d’appel de Paris s’est obstinée à appliquer l’article L. 1132-3-3 du code du travail, en méconnaissance du principe de non-rétroactivité et alors que la seule constatation de la violation de la liberté d’expression du salarié aurait permis de prononcer la nullité de son licenciement.

Cela est d’autant plus déconcertant que l’intéressé avait manifestement invoqué la violation de sa liberté d’expression et formulait une demande indemnitaire à ce titre et que la Cour a précisément relevé dans son arrêt que les faits « caractérisent aussi une atteinte à la liberté d’expression ». Il lui était donc loisible d’écarter les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail pour prononcer la nullité du licenciement sur ce seul fondement.

Peut-être faudrait-il y voir un signe de la détermination de la Cour d’appel de Paris à conférer au statut légal du lanceur d’alerte la portée la plus large, dans un contexte de scandales révélés par des salariés extrêmement médiatisés (Panama papers, Luxleaks etc.).

La question de la protection des lanceurs d’alerte revêt un intérêt particulier à l’aune de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite Sapin II, qui institue un statut unifié du lanceur d’alerte et une procédure d’alerte. En effet, comme cela a d’ores et déjà été relevé par certains commentateurs, ses dispositions laissent présager des débats judiciaires houleux sur l’appréciation des conditions de la protection qu’elle institue.

 

Auteur : Lydia Hamoudi, avocate associée

Issu de Les Cahiers Sociaux – n°293 – page 66
Date de parution : 01/02/2017
Id : CSB120e7
Réf : Cah. soc. févr. 2017, n° 120e7, p. 66