ARTICLE PUBLIE DANS LE BULLETIN JOLY TRAVAIL

Précisions sur la consultation du CSE d’établissement sur les mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement

Lorsqu’un projet a été défini au niveau de l’entreprise par le chef d’entreprise, il n’est soumis à la consultation du CSE d’établissement qu’à la condition de comporter des mesures « spécifiques » à cet établissement et pour lesquelles le chef d’établissement dispose d’une certaine marge de manœuvre. Dans le cas contraire, il ne s’agit que de simples déclinaisons du projet national, qui tiennent compte éventuellement des contingences locales. En outre, dès lors qu’aucune consultation du CSE n’a été engagée, ce dernier qui souhaite saisir le juge d’une demande aux fins d’obtenir l’organisation d’une telle consultation, n’est pas soumis au délai de saisine prévue par la loi pour demander des informations complémentaires (CA Pau, 10 déc. 2020, no 20/02012).

Extrait :

Aucun élément ne permet d’établir que le chef d’établissement disposait d’une quelconque marge de manœuvre dans l’exercice de son pouvoir de décision quant aux modalités de la reprise de l’activité au sein de son établissement telles qu’elles avaient été arrêtées au niveau de l’entreprise. (…) De plus, ni les mesures d’aménagement des locaux ou des véhicules ni l’instauration d’un « référent Covid » sous la forme d’un binôme au sein de l’établissement ne constituent des mesures spécifiques contraires aux mesures décidées par le PRA national mais de simples modalités de leur mise en œuvre.

La question de l’articulation des consultations du CSE central et du CSE d’établissement a fait l’objet d’un arrêt qui apporte des précisions inédites sur le principe et sur les conditions de l’action en justice du CSE en la matière. Les juges sont en effet interrogés sur l’obligation pour l’employeur de consulter le CSE d’établissement sur les modalités de mise en œuvre au sein de l’établissement d’un projet préalablement soumis au seul CSE central.

Dans cette affaire, la société a élaboré un plan de reprise d’activité (PRA) afin de définir les modalités de sortie du confinement et a consulté le CSE central en mai 2020. Après la fin de cette consultation, le président du CSE d’établissement de la direction régionale Pyrénées et Landes a souhaité convoquer les représentants du personnel à une réunion ayant comme point à l’ordre du jour « Crise Covid-19 : Plan de reprise d’activité (info) ». Dans ce cadre, il a transmis aux élus le PRA de la direction régionale Pyrénées et Landes et la mise à jour du DUER (document unique d’évaluation des risques).

Lors de la réunion, les membres du CSE d’établissement ont adopté une résolution demandant à être consultés, et non pas simplement informés, préalablement à la mise en œuvre du PRA et sur la mise à jour du DUER. Puis, à l’occasion de la réunion suivante, le CSE d’établissement a donné mandat à sa secrétaire afin d’agir en justice. La cour d’appel se prononce sur les conditions de saisine du juge (I), apporte des précisions sur la reconnaissance des mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement nécessitant la consultation du CSE d’établissement (II) et prend position sur la question de la consultation du CSE sur le DUER (III).

I. Précisions sur la procédure de saisine du juge par le CSE

A. L’absence de délai pour saisir le juge

Le premier argument soulevé par la société est la forclusion du CSE d’établissement. Elle estime en effet que le comité aurait dû saisir le juge avant la fin de l’éventuelle consultation, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Elle s’appuie sur la jurisprudence rendue par la Cour de cassation en matière d’action en justice de l’ancien comité d’entreprise, mais qui peut être transposée au CSE. Pour rappel, la saisine du juge par le CSE est prévue par l’article L. 2312-15 du Code du travail qui dispose que « Le comité peut, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. ». La Cour de cassation a en effet précisé que cette saisine devait intervenir avant la fin du délai de consultation (Cass. soc., 26 févr. 2020, n° 18-22759).

Toutefois, la cour d’appel de Pau a rejeté la demande de la société, car cette disposition légale ne s’appliquait pas à l’espèce. Comme l’arrêt l’énonce, « pour que le délai imparti au CSE pour agir en justice dans le cadre d’une consultation commence à courir, encore faut-il qu’une procédure de consultation ait été initiée, ce qui n’a pas été le cas ». En effet, dans cette affaire, aucune consultation n’avait été engagée et le CSE d’établissement réclamait la mise en œuvre d’une telle procédure. L’article L. 2312-15 du Code du travail ne vise que les demandes d’informations complémentaires émises par un CSE à l’occasion d’une consultation en cours. Il n’est donc pas applicable en l’absence de consultation. Dans ce cas, le CSE peut saisir le juge y compris après la mise en œuvre du projet et obtenir la suspension du projet jusqu’à sa consultation régulière (Cass. soc., 21 sept. 2016, n° 15-13364 ; Cass. soc., 10 avr. 2008, n° 06-45741). En effet, le juge ne considèrera pas que la demande est sans objet, et ce afin de ne pas faire échec à l’obligation de la consultation préalable du CSE sur les projets importants prévue par l’article L. 2312-14 du Code du travail.

B. Contenu du mandat du secrétaire du CSE pour saisir le juge

Dans sa saisine, le CSE d’établissement, via sa secrétaire, sollicite sa consultation sur le PRA et la mise à jour du DUER. Or, selon la société, le mandat donné à la secrétaire se limiterait à la consultation sur le PRA. Sur ce point également, les juges n’ont pas retenu l’argumentation de la société. Ils ont en effet relevé que le DUER était l’une des mesures intégrées au PRA et que l’ordre du jour de la réunion le présentait comme un élément du PRA. Il en résultait naturellement que le mandat d’agir donné par le CSE d’établissement afin de solliciter la consultation sur le PRA comprenait le droit d’agir aux mêmes fins pour la mise à jour du DUER. Bien que dans sa saisine le CSE d’établissement visât deux consultations, l’examen du projet élaboré par la société a montré que les deux objets des consultations sollicitées étaient étroitement liés. Ainsi, le secrétaire qui reçoit un mandat aux fins d’obtenir la consultation sur un projet précis de l’employeur dispose d’une certaine liberté dans la formulation de ses demandes. Il peut solliciter une consultation sur le projet lui-même et une seconde sur l’un des éléments composant ce projet.

II. Précisions sur la reconnaissance des mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement nécessitant la consultation du CSE d’établissement

Avec cet arrêt, les juges de la cour d’appel se sont livrés à un exercice délicat de définition des conditions de consultation du CSE d’établissement sur un projet décidé au niveau de l’entreprise. Pour rappel, l’article L. 2316-20 du Code du travail prévoit que « Le comité social et économique d’établissement est consulté sur les mesures d’adaptation des décisions arrêtées au niveau de l’entreprise spécifiques à l’établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement. ». Dès lors, les juges d’appel vérifient que l’objet de la consultation sollicitée réunit les deux conditions visées par la loi.

En premier lieu, le projet doit présenter des mesures décidées par le chef d’établissement, qui ne soient pas une simple reprise des mesures arrêtées par le chef d’entreprise. Ici, les juges constatent, d’une part, que les mesures du PRA ne relevaient pas « exclusivement de la compétence du chef d’établissement » et, d’autre part, que ce dernier ne disposait pas « d’une quelconque marge de manœuvre dans l’exercice de son pouvoir de décision quant aux modalités de la reprise d’activité au sein de l’établissement ». En effet, bien que le PRA détaillât les modalités de reprise de l’activité au sein de l’établissement en fonction des équipes en place, le plan était « décliné sans subsidiarité » et conformément à la note d’orientation générale. Ainsi, le chef d’établissement était précisément guidé dans l’élaboration du PRA propre à l’établissement.

En second lieu, les juges recherchent si les mesures définies par le PRA sont bien « spécifiques » à l’établissement en question, voire qu’elles sont « contraires aux mesures décidées par le PRA national ». Ainsi, l’arrêt retient une subtile distinction entre de telles mesures et des mesures qui ne seraient que des déclinaisons des mesures générales tenant compte des spécificités de l’établissement. Les juges admettent ici que le projet déployé au niveau de l’établissement puisse comporter des caractéristiques propres à cet établissement, sans que cela soit suffisant pour caractériser les « mesures spécifiques » imposant la consultation préalable du CSE d’établissement. En l’espèce, le PRA de l’établissement définissait des mesures tenant compte « notamment des contingences locales telles que la disponibilité des salariés et les niveaux d’activité dans chaque service », des mesures d’aménagement des locaux et des véhicules, l’instauration d’un référent Covid et des propositions individuelles d’aménagement des horaires. Pour autant, elles ne constituaient, selon les juges, que de simples modalités de mise en œuvre du PRA national. Elles ne justifiaient donc pas la consultation du CSE d’établissement. Il semble ainsi que le critère de distinction principale soit la contradiction aux mesures nationales, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le PRA régional ne comportait donc pas des mesures d’adaptation des décisions arrêtées au niveau de l’entreprise spécifiques à l’établissement et qui relevaient de la compétence du chef de cet établissement. Le CSE d’établissement n’avait donc pas à être consulté préalablement à sa mise en œuvre.

III. Question sur la consultation sur le DUER

Par ailleurs, les juges d’appel énoncent qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’impose la consultation du CSE et rappellent les dispositions relatives à l’élaboration et la mise à jour du DUER (articles R. 4121-1 et suivants du Code du travail). Toutefois, si en effet le Code du travail ne prévoit pas expressément la consultation du CSE sur le DUER, il dispose que le CSE procède à l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les salariés (C. trav., art. L. 2312-9) et contribue à promouvoir la santé, la sécurité et l’amélioration des conditions de travail dans l’entreprise (C. trav., art. L. 2312-5). Ce qui est bien l’objet du DUER. Les représentants du personnel ne peuvent pas rester dans l’ignorance de son contenu. C’est pourquoi les juges ont conclu à une solution « intermédiaire » en soulignant que le CSE central avait été associé à l’évaluation des risques et à la préparation des actions de prévention pour la mise à jour par l’employeur du DUER. Ainsi, l’association des représentants du personnel à l’élaboration et la mise à jour du DUER se distinguerait de la consultation du CSE. Or, il y a bien eu en l’espèce des échanges entre l’employeur et les membres du CSE mais pas de demande d’avis, laquelle ne s’imposait pas en l’absence d’obligation de consulter le comité.

Auteur : Nadia Gssime, docteur en droit, juriste senior chez Novia Avocats, auteur du livre La consultation du CSE et la négociation collective en cas de projets importants de l’entreprise

Issu de Bulletin Joly Travail – n°02 – page 18

Date de parution : 01/02/2021

Id : BJT114u3

Réf : BJT févr. 2021, n° 114u3, p. 18

Précisions sur la consultation du CSE d’établissement sur les mesures d’adaptation spécifiques à l’établissement

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