ARTICLE PUBLIE DANS LA SEMAINE JURIDIQUE SOCIAL
Transfert des contrats de travail et conditions conventionnelles requises
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La société ayant perdu un marché de prestation de nettoyage demeure l’employeur du salarié qui ne remplit pas, au jour du changement de prestataire, la condition d’affectation sur le marché d’au moins six mois prévue par l’article 7-2 de la convention collective nationale des entreprises de propreté (Cass. soc., 10 déc. 2015, n° 14-21.485, FS-P+B, SAS Entreprise Guy Challancin c/ SAS Probus et a. : JurisData n° 2015-027493).
Dans le cadre d’un appel d’offres de la RATP relatif à des prestations de nettoyage de ses autobus et de ses locaux, une société de nettoyage a perdu le marché portant sur des centres de bus (ci-après « l’entreprise sortante »), lequel a été confié à une autre société de nettoyage (ci-après « l’entreprise entrante »). Cette dernière s’est opposée au transfert d’un des salariés de l’entreprise sortante au motif qu’il ne justifiait pas d’une affectation d’au moins six mois sur le site concerné, condition prévue par l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté.
Le salarié a alors saisi en référé le conseil de prud’hommes, qui a ordonné à l’entreprise sortante de reprendre le contrat de travail et de verser les salaires échus depuis la reprise du marché. Le conseil de prud’hommes a fait droit à la demande du salarié, jugement confirmé en appel. La société sortante s’est pourvue en cassation. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Elle a en effet considéré que la société sortante était demeurée l’employeur du salarié dès lors que celui-ci ne remplissait pas les conditions requises d’affectation sur le marché au sein de cette dernière, pour que le contrat de travail soit automatiquement transféré à l’entreprise entrante en application des dispositions de la convention collective nationale des entreprises de propreté.
1. Garantie de l’emploi et continuité du contrat de travail en cas de changement de prestataire dans la br/anche des entreprises de propreté
Dans cette affaire, était en cause l’application de l’article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté qui prévoit un mécanisme de « garantie de l’emploi et [de] continuité du contrat de travail » en cas de changement de prestataire pour des travaux effectués dans les mêmes locaux, notamment à la suite de la cessation d’un contrat commercial ou d’un marché public. L’entreprise entrante doit garantir l’emploi du personnel affecté au marché objet de la reprise et qui remplit les conditions posées par la convention collective, en particulier celle de justifier d’une affectation d’au moins six mois sur ledit marché pour les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée. Ces stipulations ont pour objectif « d’améliorer et de renforcer la garantie offerte aux salariés affectés à un marché faisant l’objet d’un changement de prestataire ». Les signataires de cet accord de branche ont ainsi entendu écarter les incertitudes liées au transfert légal des contrats de travail, prévu par l’article L. 1224-1 du Code du travail, ainsi que celles liées à l’application de la jurisprudence selon laquelle la seule perte d’un marché de prestation de service n’emporte pas, en elle-même, transfert des contrats de travail (Cass. ass. plén., 15 nov. 1985, n° 82-40.301. – Cass. ass. plén., 15 nov. 1985, n° 82-41.510). Afin de donner à cette jurisprudence plus de visibilité et de prévisibilité, certaines br/anches, dont celle des entreprises de propreté mais aussi celles de la manutention ferroviaire et travaux connexes, des entreprises de restauration de collectivités, des entreprises de prévention et de sécurité par exemple, ont institué des mécanismes conventionnels par lesquels la perte d’un marché et la reprise de celui-ci par le nouveau prestataire emporte, sous réserve de remplir certaines conditions, transfert des contrats de travail de tout ou partie du personnel qui y est affecté. Cette prévisibilité (résultant des conditions qui ont été fixées par la convention collective) est aussi, pour les salariés relevant de ces br/anches d’activité, le gage d’une certaine stabilité dans leur emploi face aux changements de prestataires que connaissent les secteurs concernés.
2. Absence de transfert si les conditions posées par la convention collective ne sont pas remplies
En l’espèce, l’entreprise entrante contestait la réalité de l’affectation du salarié au site sur lequel portait le marché, invoquant que l’entreprise sortante avait, dans le cadre de leurs échanges puis au cours des débats, entretenu l’ambiguïté sur le lieu de travail réel de l’intéressé. La cour d’appel de Paris avait rappelé qu’il appartenait à l’« entreprise sortante d’apporter la preuve que le salarié remplissait réellement la condition d’affectation sur le site [concerné] depuis au moins six mois, conformément aux dispositions conventionnelles » et avait constaté que les éléments transmis par cette dernière « laissaient subsister un doute quant à l’affectation » du salarié sur le site depuis au moins six mois. Sur la base de ce doute, la cour d’appel a, en conséquence, ordonné à la société sortante de reprendre le contrat de travail de l’intéressé, sous astreinte (CA Paris, 22 mai 2014, n° 13/10920, SARL Probus). Dans son pourvoi, l’entreprise sortante avait fait valoir que la cour d’appel aurait dû vérifier que son manquement à l’obligation de communiquer à l’entreprise entrante les documents prévus par l’article 7 de la convention collective avait mis cette dernière dans l’impossibilité d’organiser la reprise effective du marché. En effet, sur ce point, la Cour de cassation a déjà jugé que le manquement de l’entreprise sortante à l’obligation de communiquer à l’entreprise entrante ces informations ou documents ne pouvait empêcher un changement d’employeur sauf s’il plaçait l’entreprise entrante dans « l’impossibilité d’organiser la reprise effective du marché » (Cass. soc., 28 nov. 2007, n° 06-42.379 : JurisData n° 2007-041631 ; JCP S 2008, 1171, note J.-Y. Kerbourc’h ; JSL 2008, n° 225, p. 27, obs. N. Rérolle ; RJS 2008, n° 144 ; RDT 2008, p. 176, obs. P. Waquet ; Dr. soc. 2008, p. 391, obs. A. Mazeaud ; D. 2008, p. 93 ; Lexbase hebdo, éd. soc. 2007, n° 284 ; Gaz. pal. 2008, n° 271, p. 26 ; Cah. soc. 2008, n° 198, p. 145). Dans le cas où des éléments ont été communiqués, il appartient au juge d’apprécier si leur éventuelle insuffisance rendait impossible l’organisation de la reprise effective du marché (Cass. soc., 30 nov. 2010, n° 09-40.386 : JurisData n° 2010-022561 ; JCP S 2011, 1079, note E. Jeansen ; D. 2011, p. 22 ; Gaz. Pal. 2010, n° 350, p. 27 ; RJS 2011, n° 102 ; Lexbase Hebdo, éd. soc. 2010, n° 420).
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation refuse de se placer sur ce terrain. Elle considère que dès lors que le salarié concerné ne remplissait pas la condition d’affectation sur le marché d’au moins six mois prévue par la convention collective, la cour d’appel, qui « n’avait pas à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inutile, a exactement retenu que la société sortante était demeurée l’employeur du salarié ». À cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser qu’il appartient à l’entreprise sortante d’apporter la preuve de ce que les salariés remplissent effectivement les conditions requises par la convention collective pour emporter transfert de leur contrat de travail auprès du nouveau prestataire (Cass. soc., 13 nov. 2012, n° 11-14.118 : JurisData n° 2012-026097). Dans une décision rendue dans le cadre de la convention collective des activités du déchet, elle a déjà laissé entendre que faute pour l’entreprise sortante de justifier de ce que le salarié remplissait ces conditions, le transfert ne pouvait pas s’opérer, même en l’absence d’impossibilité d’organiser la reprise effective de son contrat de travail (Cass. soc., 3 juill. 2013, n° 12-14.429 : JurisData n° 2013-013806 ; JCP S 2013, 1485, note P. Morvan ; JSL 2013, n° 350, p. 31 ; RJS 2013, n° 655 ; Lexbase Hebdo, éd. soc. 2014, n° 594).
Dans l’arrêt commenté, la chambr/e sociale écarte le moyen tenant à l’absence de caractérisation de cette impossibilité par les juges du fond. Pourrait être tirée de cette décision une distinction entre, d’une part, l’obligation d’information prévue par la convention collective à la charge de l’entreprise sortante, dont la méconnaissance ne s’oppose au transfert qu’autant qu’elle a empêché l’entreprise entrante de reprendre effectivement les salariés concernés, et, d’autre part, les conditions auxquelles les partenaires sociaux ont entendu subordonner le transfert des contrats de travail qui, si elles ne sont pas remplies, s’opposent sans autre condition à ce transfert.
Au cas présent, dès lors que le salarié ne répondait pas aux conditions requises par la convention collective, son contrat de travail ne pouvait se poursuivre avec l’entreprise entrante. La question de la méconnaissance éventuelle par l’entreprise sortante de son obligation conventionnelle d’information était donc indifférente selon la chambr/e sociale.
3. Paiement des salaires échus au salarié
Dès lors que l’entreprise sortante reste l’employeur du salarié, elle est redevable des salaires dus depuis la date du changement de prestataire. Il en résulte qu’elle doit, le cas échéant, rembourser à l’entreprise entrante les salaires versés au salarié depuis cette date ainsi que toutes les charges sociales afférentes. À cet égard, la chambr/e sociale avait déjà jugé que les rémunérations des salariés non transférés sont dues dès lors que ces derniers se sont tenus à la disposition de leur employeur (Cass. soc. 28 sept. 2011, n° 09-71.512 : JurisData n° 2011-020325 ; JCP S 2011, 1571, note A. Barège ; Gaz. Pal. 2011, n° 286, p. 26 ; Cah. soc. 2011, n° 235, p. 296 ; RJS 2011, n° 242 ; Lexbase Hebdo, éd. soc. 2011, n° 456). Curieusement, dans l’affaire commentée, la cour d’appel avait condamné la société sortante à verser au salarié des salaires échus et, dans le même temps, à rembourser à l’entreprise entrante les salaires versés par ce dernier ainsi que les charges sociales afférentes. La chambr/e sociale revient sur cette double condamnation en jugeant, à juste titre, que la cour d’appel « ne pouvait condamner deux fois la société […] à payer les salaires de l’intéressé pour une même période ».
Auteur : Lydia Hamoudi, avocate associée
La Semaine Juridique Social n° 12, 29 Mars 2016, 1109